RENE ANDRE
LIEUTENANT AU 38ème REGIMENT DE TRANSMISSION
A MONTARGIS (LOIRET)


« Lors de la mobilisation générale en septembre 1939, je prends le commandement d’une compagnie et reçois l’ordre de l’emmener à Rohrbach-les-Bitches où stationne une division légère mécanique tous véhicules.

Au cours de l’hiver qui suit, nous sommes à Lillers, en Belgique. Nous devons traverser le canal Albert mais nous sommes pris sous la mitraille d’avions allemands. Tout l’état-major, à l’exception d’un interprète est tué. Nous sommes alors obligés de nous replier.

Quelques semaines plus tard, nous descendons sur Péronne et la forêt de Mormann. Entre temps, l’ordre de repli vers l’ouest est donné. Nous faisons demi-tour et je prends la tête de la colonne. En route, nous nous arrêtons à un poste français composé de soldats d’Afrique du Nord qui vont précéder notre colonne.
(…)
En arrivant près de Pérrone, on tombe sur un point d’appui allemand avec chars. C’est mon premier combat contre les Allemands.(…)

Le 17 Mai 1940 la colonne est faite prisonnière. Le lendemain, la colonne de prisonniers est mise sous les ordres de soldats allemands de réserve pour tailler la route vers Charleville, et au nord de Charleville elle doit s’enfourner dans des wagons à bestiaux et rouler vers le Nord de l’Allemagne à l’Oflag IV D près de Dresde.

A l’Oflag IV D, la vie s’organise. Les officiers de réserve prisonniers font des conférences sur tous les sujets. Qu’on veuille s’intéresser à une question quelle qu’elle soit, on trouve toujours quelqu’un pour en discuter. J’y suis des cours de Maths haut niveau. Je discute de Physique, fais de la Biologie et rencontre des profs de Philo…

Après un an environ, les Allemands séparent les jeunes pour les emmener vers un autre Oflag, en Autriche. Ils demandent des volontaires en plus, pour soi-disant les «encadrer» Je me porte volontaire, trouvant que Dresde est vraiment loin et que l’Autriche est préférable pour la fin de la guerre. J’emmène avec moi un jeune aspirant de ma compagnie. Nous prenons le train direction l’Oflag XVIIA à Göpfritz (80km au NO de Vienne, dans la Sibérie autrichienne). Nous faisons des détours pour éviter des pays pas très sûrs pour les Allemands…

Les années passées au XVIIA se déroulent comme au IV D : cours de maths, de physique, discussions philosophiques et biologiques. A cela s’ajoute l’apprentissage de l’allemand au cinéma avec des interprètes. Nous discutons des films avec des officier polonais.

Comme j’ai dans ma chambre un camarade d’origine russe, ce dernier me propose d’apprendre le russe comme à un jeune enfant. En quelque mois je parle en russe avec lui et je découvre alors l’écriture et la grammaire russes … A la fin de la captivité je parle et comprends l’allemand et le russe !

Il y a également le problème de la nourriture. Quand je suis fait prisonnier, je pesais 80 kg. Au moment de la libération, je ne pèse plus que 47 kg. On compte surtout sur les colis. Quand ceux-ci arrivent, tous mis en commun, on les ouvre ensemble et on partage. A la fin, les colis n’arrivent plus et notre représentant auprès du commandant allemand du camp s’est mis d’accord pour vider le tas de pommes de terre mis en réserve (…) Mais le sel vient à manquer… et la purée sans sel, c’est affreux ! Heureusement, nous avons un petit bout de terrain où nous faisons pousser des carottes…

Nous avons également pour remonter le moral, 5 postes radios dont 3 fonctionnent en permanence. Nous écoutons les communiqués alliés (français, américains, russes) Nous sommes toujours bien renseignés sur les opérations… Nous avons également un officier autrichien qui nous renseigne sur les fouilles prévues par la Gestapo… C’est ainsi que nous avons appris que les bombardiers, qui les dernières semaines passaient toutes les nuits au dessus de nous, se guident pour aller vers Vienne sur les 3 miroirs que constituent les réserves d’eau creusées à l’intérieur du camp en cas d’incendie.

A l’approche du rouleau compresseur russe dans les environs de Vienne, les Allemands décident d’aller se rendre… aux Américains. Ils rassemblent les « valides » et prennent la route vers l’ouest. Arrivés suffisamment près des troupes américaines, nos gardiens s’éclipsent.

Nous allons nous ravitailler dans la campagne environnante. Au cours de ces prospections, des camarades croisent un train de marchandises à l’arrêt. Celui-ci, sans gardiens, est occupé par des déportés terrorisés, n’osant pas sortir, ignorant que leurs gardes sont partis. Libérés, ces plus malheureux que nous, sont invités à partager notre repas…

Le lendemain (6 ou 7 mai 1945), des camions américains arrivent. Ils emmènent les déportés, par priorité vers les hôpitaux, puis ils nous transportent vers le terrain d’aviation.

Là, nous montons dans des forteresses volantes, qui nous font rapidement survoler Strasbourg, puis Paris, pour atterrir un peu au sud, fautes de places libres. On nous a reçus avec un bon repas.

Le lendemain, je prends le train pour (…) Montargis où je retrouve ma femme et mes parents. C’était le 10 mai 1945 »